Interviews
Rémi Lecoutre
Après trente ans de «maison», Rémi Lecoutre, 56 ans, a été nommé le 1er avril dernier chef jardinier adjoint de la Fondation Monet. Rencontre avec un féru de botanique…
Travailler la terre relève-t-il, pour vous, d’une vocation ?
Oui ! Je suis originaire d’un endroit plutôt rural, Aumale, située aux confins de la Seine Maritime et à proximité de la Picardie. Petit, lorsque je promenais le chien de mes parents, j’essayais déjà de mémoriser des noms de plantes qui me paraissaient très compliqués à l’époque ! J’ignorais bien évidemment que j’en ferai un jour ma profession…
Etes-vous autodidacte ou avez-vous suivi une formation horticole ?
Deux de mes oncles étaient du métier. L’un était vendeur itinérant de graines Clause. L’autre, avec qui j’ai travaillé pendant plusieurs années, était arboriculteur fruitier. A l’époque, je me cherchais un peu ! Un jour, j’en ai eu assez de ce système productiviste. J’avais également conscience qu’il me manquait, dans mon cursus, le volet artistique et esthétique. Je suis donc retourné à l’école et ai suivi une formation horticole équivalant à un bac pro au Centre de Formation Professionnelle et de Promotion Agricole (CFPPA) de Lyon-Ecully. J’ai ensuite travaillé en entreprise de jardins-espaces verts, tant chez les particuliers que dans les collectivités. C’était très formateur !
Quid de votre recrutement à la Fondation Monet ?
En 1988 et alors que j’arrivais en fin de contrat, j’ai appris, via l’ANPE, que la Fondation cherchait des saisonniers. Ma candidature a été retenue et j’y ai travaillé entre mai et octobre. J’ai été, d’emblée, séduit par ce jardin si particulier, avec une telle diversité botanique ! Je me sentais en accord total avec les goûts de Monet : ces fleurs en étoiles, ces systèmes de monochromies, ces clairs-obscurs et contrastes… L’année suivante, le chef jardinier Gilbert Vahé m’a rappelé d’avril à octobre. En 1990, nouveau coup de fil. Et là, j’ai eu le culot de répondre : c’est un CDI ou rien du tout ! On en est donc restés là ! Jusqu’à ce jour de 1991 où Gilbert Vahé m’a rappelé pour un CDI…
Vous avez été, très vite, nommé responsable de la moitié Est du Clos Normand…
Tout à fait ! Gilbert Vahé avait décidé, en 1991, de sectoriser le travail pour responsabiliser les jardiniers. Moi, ça m’allait tout à fait !
Gilbert Vahé a pris sa retraite le 1 er mai. Que vous a-t-il enseigné ?
Gilbert nous a guidés dans nos premiers pas. A l’époque, il courait partout ! En plus d’oeuvrer pour la diversité botanique, il surveillait de près la production. Et il avait un sens de la débrouillardise légendaire ! L’idée de prendre des caisses à poissons pour en faire des terrines de semis, c’est lui. Chapeau l’artiste ! En plus d’être très curieux d’esprit, Gilbert a toujours su observer et écouter…
Vous avez appris, au fil des ans, à comprendre ce jardin. Comment cultiver, au mieux, sa mémoire ?
Il est essentiel, selon moi, qu’il ne reste jamais figé. Claude Monet était curieux, raffolait des nouveautés et usait de son oeil d’artiste pour accorder les couleurs ensemble. S’il avait eu encore plus de moyens et s’il avait vécu dix ans de plus, j’ose imaginer que son jardin aurait ressemblé à celui d’aujourd’hui ! Le défi majeur consiste, finalement, à rester fidèle à l’esprit de Monet tout en satisfaisant les attentes des touristes. L’attrait visuel doit être constant. Ce n’est pas toujours facile car il faut assurer une succession de floraisons ininterrompues et accroître la diversité florale. Et derrière, en coulisses, il faut gérer tout ça en trouvant notamment les bons fournisseurs. C’est un défi que nous découvrons, avec Jean-Marie Avisard, depuis nos nominations !
Justement, quel tandem formez-vous avec le nouveau chef jardinier de la Fondation Monet ?
On s’entend bien depuis des années. Et, avec le temps, chacun a mûri. Je pense que nous sommes aujourd’hui complémentaires, avec nos faiblesses et nos forces. On dit souvent que j’ai une bonne mémoire botanique… mais je ne suis pas un botaniste émérite pour autant ! Je n’arrive pas à la cheville de certains auteurs… Après, nous ne sommes pas que deux. Il y a tous les autres jardiniers derrière. Les jeunes, les anciens… ils ont tous leurs qualités ! Côté équipe, on vit une belle période ! Nous venons de recruter deux nouveaux jardiniers. Deux potentiels très forts en qui nous avons toute confiance !
Après trente ans d’activité, vous connaissez le jardin comme votre poche. Quel est votre endroit fétiche ?
Tout dépend de la saison ou du moment… J’aime beaucoup les massifs situés au bas du Clos Normand, en toute fin de journée. Le soleil couchant y darde ses derniers rayons. C’est pour cela que Claude Monet utilisait des couleurs chaudes à cet endroit !
Vous êtes en accord avec le Monet jardinier. Etes-vous également connaisseur de sa peinture ?
Quand il y a une exposition Monet, j’y vais ! Mais je ne m’intéresse pas qu’aux impressionnistes. La première grande exposition que j’ai vu était une rétrospective Gauguin il y a une trentaine d’années. Par contre, je ne peins pas moi-même, je ne dessine pas non plus… C’est un talent que je n’ai pas !
Vous sentez-vous aujourd’hui accompli ?
Je suis très bien là où je suis ! L’important, c’est de travailler dans ce cadre. Je ne suis pas carriériste. Ici, on peut s’éclater, se réaliser vraiment. C’est un travail complet pour un jardinier. Il ne manque plus que les légumes que l’on peut cultiver chez soi !
Quels défis la Fondation doit-elle, de son côté, encore relever ?
Améliorer encore et toujours le système d’arrosage qui nous cause des soucis de maintenance et d’efficacité, notamment en période de canicule ! Et il y a le chantier du bio. Pour ma part, je le pratique par conviction. Mais les nouvelles règlementations nous poussent, de toute façon, à nous adapter. Beaucoup d’anciens produits sont devenus introuvables ! Le bio, c’est un défi sur le plan cryptogamique : il pourrait nous aider à vaincre ces petites maladies créées par des champignons microscopiques -le mildiou pour les impatiens, la rouille pour les géraniums…-. Il faut être à l’affût de toutes les informations, même les plus fantaisistes. On dit par exemple que l’oïdium se traite pas mal avec du lait écrémé. Je n’ai pas testé mais un spécialiste m’a confirmé que ça marchait bien !