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Historique

Il s’appelait Michel de Decker…

Il nous a quittés, le 17 août dernier et à l’âge de 71 ans, des suites d’une longue maladie. En guise d’hommage à ce brillant écrivain-historien, nous avons collecté les témoignages de ses proches, amis et confrères qui tous, saluent son érudition, sa jovialité et ses talents d’orateur…


«Un historien vit avec des cadavres, nous confiait-il en septembre 2017. Si l’on ne les resssuscite pas, mon Dieu, qu’est-ce qu’on va s’ennuyer !» Merveilleux conteur et féru d’anecdotes, Michel de Decker transmettait son savoir avec une telle fougue qu’il rendait, comme le souligna Stéphane Bern, «l’histoire contagieuse». Au rythme de son inimitable verve, cet ancien professeur d’histoire géographie nous fit revivre la fuite de Louis XVI, nous transporta dans les amours du roi Soleil ou nous fit pénétrer, par l’alcôve, dans la singulière vie de Napoléon III. «Sa façon si vivante, si gourmande de raconter le passé va nous manquer», déplorait l’écrivain et homme de radio Franck Ferrand au lendemain de son décès. «C’était un conteur hors pair, nous a confirmé sa compagne Pascale H. Passionné et passionnant, truculent et plein d’humour». Charismatique, Michel de Decker tenait son auditoire en haleine : «Il narrait l’Histoire comme un comédien jouant une pièce en un acte», note Valérie Kay, organisatrice de salons du livre. Qui n’aurait pas, en effet, aimé assister à l’un de ses cours d’histoire ! «L’écouter, c’était comme être au théâtre : il jouait des mains, du corps et du verbe, explique Frederik Romanuik, animateur sur France Bleu Haute Normandie. Un art qu’il avait commencé à développer il y a très longtemps, alors qu’il n’était encore que professeur de collège. Il m’a un jour raconté, l’œil rieur, l’enthousiasme de cet élève, qui était allé le voir à la fin du cours, après que Michel avait narré à la classe l’histoire de Jeanne d’Arc, pour lui dire que jusqu’à la fin il avait cru qu’elle s’en sortirait !»


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Qui mieux, dès lors, que ce «magicien de l’Histoire» -c’est ainsi que le qualifia le regretté André Castelot- pour devenir, dès 2011, l’une des figures emblématiques de «Secrets d’histoire» (France 2) ? Avec drôlerie et audace, il agrémentait ses chroniques d’anecdotes avoureuses. Selon le producteur de l’émission Jean-Louis Remilleux, Michel de Decker «n’ignorait rien de l’Histoire officielle, mais il s’attachait aux non-dits, aux secrets, aux travers souvent délaissés par la lecture académique ou pédagogique actuelle qui a tendance à désincarner l’Histoire. Et il le faisait avec un humour très personnel et une maîtrise de notre langue dans ce qu’elle peut avoir de pittoresque, qui enchantaient les téléspectateurs». Depuis 1991, il ravissait aussi, derrière le micro, les auditeurs de France Bleu Normandie….

Fait Chevalier des Arts et des Lettres en septembre 2000, Michel de Decker fut aussi une plume. «Cet érudit, jamais avare d’anecdotes et de bons mots, avait le talent d’écrire comme il parlait, note Frederik Romanuik. Avec cet humour qui rendait l’histoire accessible, même aux plus récalcitrants. » Saviez-vous qu’il écrivit une trentaine d’ouvrages, dont «12 corsets qui ont changé l’Histoire» (2011, Pygmalion) ou «Napoléon III ou l’Empire des sens» (2008, Belfond) ? Et qu’il présida, jusqu’à sa mort, la Société des Auteurs Normands (SADN) qu’il co-fondit en 1981 avec André Castelot ? Secrétaire de l’association, Carole Duplessy-Rousée, a salué, le jour de ses obsèques, «l’écrivain talentueux et généreux qui se mettait au service des petits auteurs. Nous nous ne comptions plus ses coups de pouce invisibles». «Il a aidé plusieurs jeunes auteurs à se faire éditer, confirme Valérie Kay. Et il a soutenu tellement de projets culturels de sa région !»

Car, outre l’Histoire, Michel de Decker cultivait une autre passion : la Normandie. Comme le souligna, sur Twitter, le ministre chargé des Collectivités territoriales Sebastien Lecornu, «plus qu’un amoureux d’histoire, c’est une figure importante et amicale du département de l’Eure et de la ville de Vernon qui s’en va». Voisin de Giverny puisqu’il résidait à Notre-Dame-de-l’Isle, Michel de Decker ne put que se passionner pour la fantastique destinée de Claude Monet. Auteur d’un captivant ouvrage biographique (Claude Monet, Une vie – Perrin, 1992) qui fait aujourd’hui figure de référence, il eut l’ingénueuse idée de frapper, dans les années 1970, aux portes de Givernois ayant côtoyés, de près ou de loin, Claude Monet. Il eut même le privilège de pénétrer, au printemps 1973, dans l’antre du maître impressionniste, dont il relata, photos à l’appui, l’état de désolation dans une série d’articles publiés dans le Démocrate Vernonnais, l’hebdomadaire local. «Gérald Van der Kemp m’a confessé, plus tard, que si mon article n’était pas sorti, on aurait encore attendu une dizaine d’années avant d’entamer la restauration du domaine givernois, nous expliquait Michel de Decker en 2017. «On lui doit beaucoup en effet, confirme Hugues R. Gall, directeur de la Fondation Monet. Ses articles ont été un élément détonateur. Il a tiré la sonnette d’alarme et sans lui, la prise de conscience n’aurait pas été aussi rapide !» «Il était très fier d’être, un peu, à l’origine de la restauration du domaine», nous a confirmés sa compagne… Solides, les liens entre Michel de Decker et la Fondation Monet ne se sont jamais détissés : «Nous apprécions tous cet homme si sympathique, chaleureux, fougueux et doué pour la communication. A chaque fois que nous le sollicitions, il avait la gentillesse de répondre toujours présent», rapporte Hugues Gall. «Et combien de fois a t-il servi de guide à Giverny pour nos proches, ajoute Pascale H. Il racontait Monet comme s’il avait vécu avec lui. Les gens se rapprochaient pour l’écouter, surpris, amusés et captivés par sa verve et ses anecdotes croustillantes. Un vrai régal !..»

«Il était juste un homme comme on n’en croise que trop rarement dans une vie», conclut Frederik Romanuik. Aujourd’hui parti rejoindre ceux qui ont fait l’Histoire, plaisons-nous à en penser que Michel de Decker devise enfin avec toutes ces figures historiques qu’il se délecta tant à croquer…