Historique
Parce que c’était lui, parce que c’était moi…
5 décembre 1926. Georges Clemenceau perd son meilleur ami Claude Monet, décédé d’un cancer du poumon…
Leur rencontre remonte à leurs jeunes années, sous le Second Empire. Titulaire d’une thèse de doctorat soutenue en 1865, Georges Clemenceau se destine alors à la médecine. Artiste solitaire d’un an son aîné, Claude Monet n’a d’yeux que pour l’art pictural. Tous deux fraternisent, en un éclair, autour d’un même combat contre les académismes et l’Empire. S’ils se reconnaissent, ils se perdront pourtant de vue pendant vingt ans. Affinités intellectuelles, passions communes pour le jardin, les fleurs, l’automobile… Au crépuscule du XIXe siècle, le Tigre et le chef de file des impressionnistes se retrouveront pour ne plus se quitter.
Entier, solide et exigeant, le campagnonnage qui unissait les deux hommes était sans pareil. Les efforts de Georges Clemenceau pour rassurer, encourager, consacrer le si anxieux Monet furent incomparables. Le 22 avril 1922, Georges Clemenceau écrit à Claude Monet cette belle déclaration : «Je vous aime parce que vous êtes vous, et que vous m’avez appris à comprendre la lumière. Vous m’avez ainsi augmenté. Tout mon regret est de ne pas pouvoir vous le rendre. Peignez, peignez toujours, jusqu’à ce que la toile en crève. Mes yeux ont besoin de votre couleur et mon coeur est heureux. Je vous embrasse». Comme un vieux couple, ils s’aiment, se chamaillent et se taquinent. Ainsi le père de la Victoire surnomme-t-il Claude Monet «mon pauvre vieux crustacé», «mon vénérable débris» ou «mon vieux cœur» ! Malgré la maladie qui les usera tous deux, leur amitié se révèle d’une extraordinaire chaleur et intimité…
Quelques semaines avant le décès de Claude Monet, Georges Clemenceau sera l’un des rares, sinon le seul, autorisé à rendre visite à son ami. «Je le savais perdu et je venais maintenant tous les dimanches le distraire autant que possible de son mal. Quinze jours avant sa mort, j’ai encore déjeuné à table avec lui. Il m’avait parlé de son jardin et m’avait raconté qu’il venait de recevoir tout un stock de bulbes de lys du Japon, fleur qu’il aimait entre toutes…»
Au début du mois de décembre 1926, Le Tigre, par discrétion, décide de ne pas retourner à Giverny sans y être expressément invité. «Je suis prêt, en tout temps, à l’aller voir quand il en exprimera le désir» écrit-il le 1er décembre à Blanche Hoschedé, la belle-fille de Claude Monet. A réception de la lettre, Blanche prie Clemenceau d’accourir à Giverny. Le peintre, qui ne s’est pas alimenté depuis quatre jours et souffre énormément, l’a fait demander. Le mourant remercie le Tigre avec un sourire… Le coeur serré, Clemenceau reprendra la route de Giverny le 5 décembre. Son vieil ami agonise. Dans sa chambre située au premier étage, il lui saisit la main et le réconforte. Le peintre s’éteindra quelques minutes plus tard….
Aux obsèques de Claude Monet, dans les brumes hivernales de Giverny, le Tigre est là. Après avoir fendu la foule qui s’est massée devant la grille, il pénètre dans la maison et écarte d’un geste décidé le drap noir destiné à recouvrir le cercueil. «Pas de noir pour Monet !» Il le remplacera par une étoffe à fleurs…
Vêtu d’une grande houppelande à col de velours et coiffé d’un chapeau melon, il suit le cercueil qui a pris la direction du cimetière. A un moment donné, il s’arrête, s’appuie sur sa canne et pleure. Clemenceau refuse pourtant de se faire aider ou de monter dans sa voiture. Il reprend courageusement sa marche. Jusqu’au bout, il veille, réclame de se tenir à deux pas de la fosse : il veut «voir descendre Monet»…
C’est sans son fidèle ami que Georges Clemenceau inaugurera, le 17 mai 1927, les salles des Nymphéas au musée de l’Orangerie. Quelques mois plus tard, il lui consacrera un ouvrage intitulé «Claude Monet, Les Nymphéas». Un bouleversant témoignage sur l’homme et l’artiste, qui souligne combien l’auteur avait compris et admiré le génie givernois….
Le «Père de la Victoire» s’éteindra le 24 novembre 1929. Il avait, dès 1922, imaginé ses retrouvailles dans l’au-delà avec son meilleur ami : « … vous mourrez en faisant de la peinture, et le diable m’emporte si, en arrivant au paradis, je ne vous retrouve pas un pinceau à la main… »