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Historique

CLOVIS CORNILLAC : « Je suis convaincu d’être Monet lorsque la pièce se joue…»

Depuis le 12 septembre au théâtre parisien de la Madeleine, Clovis Cornillac se glisse dans la peau du maître impressionniste au détour d’une pièce mise en scène par Tristan Petitgirard. Aux côtés de Maud Baecker et Eric Prat, il incarne un Claude Monet qui, âgé de 52 ans, se met en tête de capturer la course de la lumière sur la Cathédrale de Rouen…


©Cyril Bruneau

 

Que saviez-vous du maître impressionniste avant de plonger dans cette aventure théâtrale ?

Je maîtrisais davantage les trajectoires des artistes fauves ! De Claude Monet, je connaissais Giverny, les Nymphéas, « Impression soleil levant » et les toiles les plus fameuses. C’est vraiment parce que cette proposition m’a été faite que j’ai appris à découvrir le personnage. Et ce fut passionnant !

Vous avez visité, cet été, la maison et les jardins givernois pour vous imprégner du cadre de vie de Claude Monet. Que vous a apporté ce « pélerinage » ?

Le métier de comédien implique d’être « curieux de sensations » pour mieux comprendre les choses et réussir à les retranscrire. Il nous incombe d’attraper l’essentiel. Quand, par exemple, vous incarnez un grand cuisinier, vous n’aurez jamais ses 40 ans de métier dans une cuisine. Ce n’est pas sur des détails qu’il faut s’attarder. À Giverny, lorsque j’étais tout seul dans le jardin, il m’a semblé percevoir l’obsession de la lumière. Lorsque je me suis promené dans la maison, je n’y cherchais pas quelque chose de particulier. Mais il m’importait de m’y sentir bien. J’ai parrallèlement lu une biographie de Claude Monet. Ce type d’ouvrage se révèle très instructif même si je le survole pour ne pas tomber dans une démarche trop scolaire. Je n’ai pas la prétention d’avoir décodé le gars mais je pense que notre proposition théâtrale est « juste ». Je suis heureux d’avoir dit oui car j’ai vraiment l’impression que ce spectacle fait vibrer le public. Je le lis dans les yeux des spectateurs lors des applaudissements. Chaque soir, il se passe quelque chose…

Dans la pièce, vous avez le regard rivé vers une cathédrale suggérée. Avez-vous eu la curiosité de vous poster à l’endroit où Claude Monet s’était installé pour peindre ?

Tout à fait. Le peintre s’était positionné au premier étage d’une boutique de lingeries et modes. Les lieux sont aujourd’hui occupés par l’Office du Tourisme et la façade d’époque a été conservée. De ce point de vue, la cathédrale est magnifique. J’ai regardé ce qu’il a regardé. Reste que le regard relève d’une problématique très intime. Ce sont des projections mentales. Il est très difficile de décrire ce que j’en ai retiré. Ce que je peux dire, c’est que je suis convaincu d’être Monet lorsque la pièce se joue. Tout comme se dégage des toiles du peintre cette conviction d’entreprendre…

Le Monet que vous incarnez est un Monet en panne d’inspiration. Ecrasé par la fatigue, il fait des cauchemars et détruit de nombreuses toiles…

Tous les peintres, même ceux, plus contemporains, que j’ai approché, ont détruit à un moment leurs œuvres. Le processus créatif peut se révéler si violent et intime… Quand tu es dans un désamour, que tu penses que ton travail est à côté ou au mauvais endroit, tu as le droit de détruire ce que tu as fait. Il y a tant d’œuvres inachevées, brûlées… Nous, béotiens qui ne savons pas peindre, aurions jugé fantastiques ces toiles qu’il a choisi de détruire…

Vous avez certainement cherché à comprendre la quête de Claude Monet. Quelle question auriez-vous aimé lui poser ?

Quand on pose une question, on force son interlocuteur à une certaine concision. Alors que quelque chose peut surgir d’un coup lors d’une balade ou autour d’un café. J’aurai aimé passer un week-end avec lui à Giverny, l’observer, manger et boire un coup. Si l’on avait eu des choses à se dire, cela serait sorti spontanément…

L’impressionnisme, c’est peindre sur le motif. Et, paradoxalement, la pièce nous plonge dans un huis clos entre quatre murs…

C’est en effet un paradoxe. Mais ce fut aussi un paradoxe pour Claude Monet de s’enfermer pour peindre car il était tout le temps dehors. Le spectacle réussit à suggérer cette lumière que Claude Monet cherchait à traduire de manière obsessionnelle…

Cette pièce didactique est aussi l’occasion d’explorer cette révolution picturale que fut l’impressionnisme…

Le théâtre est un autre art que la peinture. Mais on y parle de peinture ! Ce spectacle est très graphique, personne ne s’y ennuie. Il y a de l’invention, de la création, de l’élégance. Il y a des choses profondes qui secouent. Peut-être cette pièce encouragera-t-elle les spectateurs à vouloir en savoir plus sur Claude Monet et l’impressionnisme. Il y a des années,  j’avais lu un bouquin espagnol qui s’appelait « La tempête » et qui faisait écho à un tableau éponyme. L’une de mes obsessions après la lecture de ce bouquin fut d’aller voir ce tableau à Venise. Et qu’est-ce que je me suis senti heureux de me retrouver face à lui…

Le 22 avril 1922, Georges Clemenceau écrit à Claude Monet cette belle déclaration : «Je vous aime parce que (…) vous m’avez appris à comprendre la lumière ». Et vous, de quelle manière cette expérience vous a-t-elle transformé ?

C’est tellement intime que c’est bizarre et compliqué à expliquer. Dès que tu tentes de le verbaliser, cela paraît étrange ou prétentieux. Il est évident que cette expérience là bouge quelque chose. Je ne regarde plus tout à fait les choses de la même manière. Je peux comprendre cette obsession à retranscrire une sensation et en même temps une véracité. Ce qui est impossible… Mais c’est en cherchant l’impossible que l’on trouve des choses…

©Cyril Bruneau