Interviews
Rémi Lecoutre : « Tout le jardin est une affaire de détails ».
Les jardins de Claude Monet changent de visage au mois de mai. Chef jardinier adjoint du site givernois, Rémi Lecoutre nous explique les particularités, contraintes et belles surprises de cette phase de transition…
Placé sous le signe du changement, le mois de mai sonne l’heure de la plantation progressive des annuelles…
La météo nous réservant des remontées de température brutales ou des descentes tout aussi brutales, nous ne nous précipitons pas pour planter. Nous avons, début mai, planté des annuelles qui résistent au gel, comme le Lobelia laxiflora, l’impatiens niamniamensis ou le centaurea cyanus, le bleuet annuel. Lorsque ces plantes sont mises en terre dans des endroits abrités, par exemple sous un arbre, elles sont davantage protégées. On y note jusqu’à deux degrés d’écart par rapport à un endroit exposé. Nous avons également planté des pavots de Californie, des ancolies, des osteospermum. Les pelargoniums situés devant la maison seront plantés le plus tard possible car ils ont besoin de lumière et chaleur. Une partie des autres annuelles sont dans les tunnels. Nous allons progresser selon les massifs et au cas par cas. Tout le jardin est, en effet, une affaire de détails. Et il nous faut jongler entre les impératifs de culture et les besoins esthétiques : le jardin se doit d’être fleuri toute la saison.
Justement, usez-vous de plantes de transition pour prolonger l’esthétique du jardin ?
Tout à fait. Certains bulbes, comme les camassias et les alliums nous aident beaucoup pour la grande allée où les tulipes ont souffert d’averses parfois violentes et d’amplitudes thermiques. Nous avons des jacinthes d’Espagne qui font montre d’une belle longévité. Citons également le géranium tuberosum, le glaïeul communis byzantinus ou les hespéris. La diversité fait que l’on prolonge l’intérêt des massifs.
Les pélargoniums et rosiers tiges vont bientôt succéder, devant la maison, aux tulipes et myosotis. Un précieux autochrome daté de 1921 montre un Claude Monet posant devant ce massif. Vous disposez, en outre et depuis 2020, de deux pélargoniums historiques. Peut-on dire que cette zone du jardin est restituée avec la plus grande fidélité ?
Je n’aurai pas dit mieux ! Il reste encore la question des oeillets de bordure. Sur la photo emblématique de Claude Monet, on aperçoit cet oeillet doté d’un très beau feuillage argenté. C’est un challenge de retrouver le même oeillet que celui dont usa Claude Monet, d’autant que beaucoup de variétés horticoles ont disparu. Cette année, nous usons des mêmes oeillets en mélange ainsi que du dianthus plumarius roseus qui me semble plus costaud. J’effectue aussi un essai avec le dianthus plumarius doris doté d’une floraison saumon. Il pourra se révéler très intéressant car il va rappeler le crépi rose saumon de la maison. Cette capucine très haute dotée de ce feuillage et de ces fleurs rouge foncé reste également un mystère.
Le mois de mai voit également s’épanouir les fleurs qui inspirèrent tant de toiles à Claude Monet. Parmi celles-ci, les incontournables iris…
Les iris bulbeux (iris hollandica) ont bien fonctionné et ont su résister aux intempéries. Suivront les iris germanica hybrides. Claude Monet appréciait également les pavots. Le papaver rupifragum de couleur orange est l’un des plus précoces et fleurira jusqu’à cet été.
C’est également en mai que la glycine, si chère à Claude Monet, est à son apogée…
Les visiteurs assistent actuellement à un magnifique croisement de floraisons entre la glycine mauve de Chine et la glycine blanche du Japon. La blanche a coutume d’arriver lorsque la mauve commence à baisser en intensité. Heureusement protégée par notre système antigel, la glycine mauve a été très en avance. Je me rappelle d’une lettre de Claude Monet adressée à Georges Clemenceau et datée du 22 mai 1922 : « J’espérais vous voir hier, vous n’êtes pas venu, ce que je regrette fort, car la glycine n’a jamais été aussi belle ». Cette correspondance souligne combien nous sommes très en avance par rapport à l’époque de Claude Monet.
Quid des arbustes du jardin d’eau ?
Il faut, en mai, admirer l’arbre de judée et le cornouiller rose. Si elles étaient très en avance, les azalées sont toujours très belles. Comme pour le Clos Normand, certaines plantes sont à l’heure et d’autres très en avance. Il y a donc un télescopage. Les intempéries font le tri. Bien malin celui qui peut faire des prévisions exactes.
Justement, verra-t-on les premiers nymphéas en mai ?
Cela va dépendre du temps et de la lumière. Le chef jardinier Jean-Marie Avisard teste un produit naturel qui, dérivé du calcaire, va contribuer à éliminer les algues indésirables qui sont en suspension et font écran. Le bassin sera plus propre tandis que la lumière pénétrera davantage au pied des nymphéas. Cela va donc accélérer la reprise des nénuphars.
Pourquoi visiter le jardin en mai ?
Avec les camassias bleus, les jacinthes d’Espagne bleues, les iris à venir.. Vous y verrez du bleu et encore du bleu ! Certes, toutes les floraisons définitives ne seront pas là. Mais c’est une période très prometteuse. Et les visiteurs, qui recherchent aussi une atmosphère, sont ravis.
C’est au mois de mai 1883 que Claude Monet s’installe à Giverny. A quoi ressemblait le jardin à son arrivée ?
C’était un jardin utilitaire avec une culture vivrière, des pommiers à cidres… Claude Monet a surtout été frappé par le potentiel des lieux, qui profitaient d’une pente douce et d’une très belle exposition. S’il a choisi de conserver les deux ifs, il détestait les épicéas et cyprès qui assombrissaient la grande allée. Il leur fera la peau ! Au début, il a tâtonné car il voyageait beaucoup et n’était pas à 100% dans son jardin. Avant de recruter une équipe de jardiniers, il jardinait en famille.
C’est enfin au début du mois de mai 1886 que Claude Monet découvre, en Hollande, la féérie des champs de tulipes. Ce voyage a-t-il influencé sa manière de concevoir son jardin ?
Tout à fait. A son retour, il a voulu recréer l’effet de ces étendues de coloris purs dans des parterres rectangulaires monochromes. Chacun de ses voyages, et plus particulièrement celui à Bordighera, a guidé sa main de jardinier.
Rémi Lecoutre, chef jardinier adjoint de la maison et des jardins de Claude Monet – Giverny