Historique
Dans la bibliothèque de Claude Monet…
«Dis moi ce que tu lis, je te dirai qui tu es» ! C’est en scrutant les livres qu’il possédait que Ségolène Le Men, Claire Maingon et Félicie de Maupeou ont mis à jour, dans «La bibliothèque de Monet», (Paris, Citadelles et Mazenod, 2013) une autre facette du maître impressionniste…
Claude Monet lui-même préconisait que chacun reste à son métier. Jamais il ne voulut endosser les habits du théoricien ni coucher, sur le papier, ses conceptions artistiques. Aussi, toutes les études dédiées au peintre s’étaient-elles, jusqu’ici, concentrées sur son oeil remarquable directement tourné vers la nature. Aucun travail abouti n’avait entrepris de replacer Claude Monet dans un horizon de culture lettrée. Un défi relevé, au début des années 2010, par Ségolène Le Men, Claire Maingon et Félicie de Maupeou…
Saviez-vous, en effet, que Claude Monet avait son couvert dans les réunions mensuelles des Dix de l’Académie Goncourt ? Comme le résuma si bien le journaliste Henry Vidal le 8 décembre 1926, jour de l’enterrement du peintre : «Dans l’atelier, il y avait les derniers livres qu’il avait feuilletés. Car le «bourru», «le paysan» lisait les poètes» ! «Son oeil impressionniste était un oeil intelligent», introduit Ségolène Le Men dans la préface de l’ouvrage…
C’est dans le second atelier du maître impressionniste, niché à l’abri du circuit de visite que les trois auteures ont déployé leurs talents de détectives. Pas moins de 700 volumes – littérature générale, artistique, catalogues d’exposition et de vente…- y sont, en effet, conservés dans la bibliothèque du peintre. Alimentant leurs recherches de ressources annexes -photographies anciennes, correspondances…-, elles se sont immergées dans la lecture de ce vaste ensemble d’ouvrages afin d’en extraire les morceaux choisis d’une anthologie…
D’emblée, les livres trahissent les contours de la personnalité de l’artiste et dévoilent ses goûts les plus intimes. Ainsi de ces quarante recueils de poésie, dont celui de Jean Richepin, des nombreux ouvrages dédiés à l’horticulture, dont «le Dictionnaire pratique d’horticulture et de jardinage» (G. Nicholson) ou des multiples guides et récits de voyages (Hollande, Venise…). Quant à sa passion pour l’univers maritime, elle est notamment mise en exergue avec «La mer» de Jules Michelet…
Côté littérature générale, la bibliothèque abrite 271 auteurs, pour la plupart contemporains de Claude Monet. Les plus représentés ? Georges Clemenceau et Octave Mirbeau, avec qui le peintre avait noué de solides liens d’amitié, Jean Ajalbert, Honoré de Balzac, Anatole France, Gustave Geffroy, les frères Goncourt, Victor Hugo, J. H. Rosny, Léon Werth ou Emile Zola, dont la présence dans les rayonnages souligne combien Claude Monet s’intéressait à l’actualité ! Y figurent également un exemplaire de «La dame aux camélias» d’Alexandre Dumas fils, «les Fables» de la Fontaine illustrées des dessins de Gustave Doré, «Les fleurs du mal» de Charles Baudelaire, «Histoire de France» de Jules Michelet ou encore «Boule de suif» de Guy de Maupassant. Sur l’ensemble des auteurs, quarante cinq ne sont pas français. Parmi eux, des britanniques -Shakespeare, Kipling, Thomas Dickens…-, trois Japonais, deux Américains, plusieurs russes -Tolstoï, Dostoïevsky, Tchekhov….-. Dix livres traduits du norvégien trahissent l’intérêt de Claude Monet pour la littérature scandinave. Quant à la présence d’auteurs antiques, comme Homère, Plutarque ou Tacite mais aussi médiévaux comme Dante, elle témoigne de la vaste étendue de la culture esthétique et lettrée du maître givernois….
Si Claude Monet ne s’est jamais voulu un artiste d’idées, les quelques 70 ouvrages d’art prouvent son ancrage dans le monde artistique… Lui qui apprécie Vélasquez ou Rubens a dévoré «Vie de Michel-Ange : avec un portrait» de Romain Rolland. Quant à l’ouvrage «La philosophie de l’art» d’Hippolyte Taine, ses nombreuses annotations soulignent combien Claude Monet l’avait lu et relu… Nous sommes donc bien loin de l’image de l’artiste solitaire préoccupé par une quête esthétique personnelle !
Autres précieux indices récoltés par les trois auteures, les 202 dédicaces que compte la bibliothèque de Monet. Si certaines témoignent d’une réelle proximité, voire d’un lien d’amitié, toutes attestent de l’insertion du maître dans un réseau culturel qui dépasse le seul cercle des peintres impressionnistes. Ainsi de Paul Valéry, «A Monsieur Claude Monet, hommage de mon admiration toujours plus grande et d’un affectueux respect» ou Eugène Monfort, «A M. Claude Monet, Au peintre dont l’âme a communié avec la terre, les arbres, le ciel et l’eau»…
Autant de livres qui dressent la carte de son univers mental, dessinent les contours de son horizon culturel et dévoilent l’homme derrière l’artiste. «La richesse et l’ampleur des textes (..) prouvent bel et bien que Monet mérite de prendre place parmi les intellectuels de son époque», conclut Ségolène Le Men…